
Je reviens du Népal pleine d’images très colorées, fascinée par la résilience de ce peuple qui est toujours aussi souriant et accueillant, malgré le tremblement de terre qui a dévasté le pays et fait des milliers de morts en 2015, il y a à peine trois ans. À les observer et vivre avec eux, il semble que leur grande résilience vienne au moins en partie de leur attitude, physique et spirituelle. Lorsqu’on observe la posture des gens dans leurs activités quotidiennes, on réalise que la majorité des personnes se tient bien droite, d’aplomb, avec l’assurance que Bouddha et les Dieux les accompagnent à tout instant. Selon notre guide, les Népalais sont à 90% hindouistes et à 90% bouddhistes!!!
QU’EST-CE QUE L’APLOMB?
Par définition, au sens propre, c’est l’état d’équilibre, de stabilité d’un corps par rapport à la verticale. Tandis qu’au sens figuré, il s’agit de l’assurance, la confiance en soi. Être d’aplomb va aider à avoir de l’aplomb, à être pleinement ancré et présent dans la vie quotidienne.
Le fil d’aplomb est utilisé traditionnellement en maçonnerie et en charpenterie pour construire des bâtiments stables et durables depuis des millénaires.
GRAVITÉ
Constitué simplement d’un fil et d’une masse (plomb ou autre), le fil d’aplomb est une manifestation de la gravité, cette force universelle qui agit sur toute masse. Tout corps possède un centre de gravité soumis à l’équilibre des forces qui s’exercent sur lui. Le mouvement du corps, ou le maintien de sa stabilité, dépend de l’alignement du centre de gravité avec l’axe de symétrie.
Selon une légende, c’est en observant une pomme tomber d’un arbre que la gravité s’est révélée à Newton qui a ensuite formalisé la loi fondamentale de la physique. Toute masse dans l’univers est soumise à cette force d’interaction (ex: c’est l’interaction de la lune sur la terre qui crée les marées). L’interconnexion de l’univers avec notre planète est aussi révélée par le mouvement du pendule de Foucault qui est une sorte de fil d’aplomb mettant en évidence la rotation de la terre.
SYMBOLIQUE
Au Népal, on retrouve l’aplomb symbolisé par l’axe du monde (Axis Mundi) dans les stupas, les dômes bouddhistes. C’est l’axe cosmique, l’intermédiaire entre la Terre et les Cieux à la Création. C’est notre connexion au monde physique, concret, rationnel et au monde subtil, spirituel.
Pour B. K. S. Iyengar, le corps doit être bien tenu, d’aplomb, de façon à respecter sans violence (ahimsa) le Fil de Brahmâ, ce cordon porté autour du corps par les Brahmins initiés à l’âge de 7 ans. Ce cordon composé de 3 fils (la trinité: Brahmâ, Vishnu, Shiva, les trois gunas, les trois principaux nadis…) est porté en désir de perfection, de pureté; il rappelle la sadhana, pratique spirituelle pour transcender l’ego, avec détermination, courage, foi et engagement dans un esprit de tolérance (Pragya Mishra).
De même, pour les francs-maçons, la verticalité du fil d’aplomb symbolise l’élévation, et le fait qu’il pointe vers le bas signifie l’introspection et la nécessité du travail sur soi pour permettre le perfectionnement et l’élévation de soi.
ÉVOLUTION
Lorsqu’un bébé commence à tenir sa tête en position assise, celle-ci va se placer naturellement en aplomb de la colonne vertébrale. Puis l’enfant se lève sur ses jambes et commence à marcher. Sa posture et sa démarche manifestent pleinement l’aplomb, à la recherche et à la découverte de l’équilibre et de la stabilité. La colonne vertébrale s’ajuste pour permettre l’équilibre parfait de la posture debout. La colonne présente une courbure naturelle avec une nette antéversion du bassin dans les basses lombaires, elle est longue, presque droite ensuite, avec une petite cyphose au niveau thoracique. Malheureusement dans les sociétés occidentales, l’aplomb est perdu très tôt, à cause de l’usage de la poussette, puis les longues heures aussi sur des chaises avec plan d’assise inversé (arrière plus bas que l’avant) à l’école, au travail, en voiture, écrasé sur un sofa…qui favorisent la rétroversion du bassin et le relâchement des muscles dorsaux. Il nous faut donc désapprendre nos habitudes posturales pour retrouver l’essence de la posture.
PRATIQUE
C’est l’attention qui permet de retrouver l’aplomb non seulement dans les postures de yoga, mais aussi dans la vie quotidienne, en statique ou dynamique, quand on est assis, ou debout, quand on marche, change de posture, quand on monte ou descend un escalier, quand on est allongé… Alors concrètement comment faire? L’essentiel est de toujours garder l’antéversion du bassin au niveau sacrum-basses lombaires (pas plus haut) et la colonne vertébrale bien allongée vers le haut. Il y a une légère tension entre le nombril et le sternum. La tête est dans l’axe du corps, le menton légèrement penché de façon à ce que le regard se porte à l’horizontale pour faire face à la réalité de façon ouverte et neutre, sans peur, arrogance, ou culpabilité, pour accueillir avec bienveillance toutes les perceptions qui apparaissent.
- Debout: il faut porter le poids du corps principalement sur les talons, genoux non bloqués, cuisses détendues, aines reculées vers l’arrière, le bassin très basculé en antéversion (pelvis vers le bas), la colonne vertébrale allongée, très longue, la cage thoracique haute, bien ouverte (notamment en arrière), l’arrière de la tête étiré vers le haut.
- Assis: favoriser l’antéversion (pelvis vers le bas) en s’assoyant de façon plus haute (utiliser des coussins ou couvertures sous les fessiers) pour avoir les hanches plus hautes que les genoux. Le poids du corps repose sur le pelvis plus que sur les ischions.
- Allongé: garder la lordose dans les basses lombaires-sacrum, allonger le haut du dos, les omoplates touchent le sol.
- En tout temps, respirer le long de la colonne vertébrale, la cage thoracique restant toujours haute et large, les épaules détendues.
EFFETS ET BÉNÉFICES:
Dans la posture d’aplomb peut apparaître « sthiram sukham asanam »: la stabilité, la fermeté et l’aisance suprêmes, qui permettent de vivre simplement, avec les valeurs fondamentalement humaines dépouillées de tout le stress de la société moderne. La respiration peut se placer pleinement dans tout le corps, vitaliser chaque cellule, chaque organe, et harmoniser le système nerveux.
Énergétiquement, lorsque le corps est aligné, en aplomb, les chakras sont connectés, les prana vayus et les nadis équilibrés. Se révèle alors dans un espace lumineux, le Temple intérieur. Le mouvement n’est plus régit par l’action, la posture n’est plus tension ni contraction, mais ouverture, présence et réceptivité. Le yoga de la Non-Action se manifeste quand le changement, le mouvement ne se fait plus par la volonté, le contrôle du mental, mais seulement dans la liberté et l’espace de l’intention.
» Ce complet abandon de soi à la manifestation de l’Énergie créatrice – que d’aucuns appellent Dieu – si tangible pour nous, sur la terre, et que nous appelons gravité, correspond au terme sanscrit pranidhana » pour Iyengar (Noëlle Perez-Christiaens, Approches « secrètes » des postures debout).
En fait, comme la méditation, l’aplomb est un état de grâce qui peut apparaître quand l’espace est préparé, disponible, réceptif.
De mon expérience personnelle, cette approche de la posture est délicate à mettre en oeuvre car elle demande de porter beaucoup d’ATTENTION à toutes nos perceptions (y compris subtiles), mais c’est cela le Yoga! Elle exige l’abandon de nos certitudes, croyances pour être pleinement présent et réceptif à ce qui se vit dans l’instant. Et quand l’état apparait, la réalité prend en tout autre sens, une autre dimension sans limites… Alors, essayez, PRATIQUEZ!

Publié dans la Revue Virtuelle de la Fédération Francophone de Yoga n 18