
Nous ne sommes plus étonnés par les trucages utilisés dans le monde du cinéma. Mais les illusionnistes nous surprennent encore par leur capacité à réaliser des expériences qu’on aurait crues impossibles, en utilisant différentes techniques pour tromper notre cerveau. Dans la vie quotidienne, nous savons que des personnes peuvent percevoir différemment la même réalité, mais en fait, nous ignorons totalement la différence entre ce que nous percevons et la réalité « objective ». C’est ainsi que l’on définit l’illusion, comme la dissociation entre la réalité physique et la perception subjective d’un objet ou un événement. Jusqu’où sommes-nous affecté par cet état?
Neurosciences
Les études scientifiques montrent que notre cerveau est limité non seulement au niveau de la perception, mais aussi du traitement et de l’interprétation des données qu’il reçoit. Le cerveau ne perçoit en fait qu’une infime quantité d’informations venant de l’extérieur (spectre lumineux visible, sons audibles…) et il n’en traite qu’une partie encore plus limitée. Les informations traitées sont sélectionnées selon leur utilité pour notre survie et les capacités physiques et cognitives du cerveau. Même les souvenirs sont composés non seulement des perceptions passées, mais aussi de l’expérience présente…
L’illusion apparait quand les données sensorielles entrent en conflit avec notre perception habituelle des choses. Les interprétations erronées des informations sensorielles et les distorsions de la perception peuvent être d’origine physique, physiologique ou cognitive (ex. ventriloquie, mirage, phosphènes, images paradoxales comme le triangle de Penrose, silhouettes ambigües, membres fantômes, grandeurs liées à la perspective, couleurs supposées plus sombres à l’ombre, saveurs liées à la couleur…)
Tous les sens peuvent être trompés: il existe des illusions optiques, acoustiques, olfactives, tactiles, gustatives, les perceptions pouvant être influencées par la forme, la température, la couleur, la perspective, le mouvement… mais aussi par les émotions, les souvenirs, les expériences passées…
Sciences physiques
Qu’en est-il de la réalité objective d’un objet en physique quantique? L’observation de l’objet dépend de l’observateur: sujet et objet sont liés. La nature des particules n’est pas clairement définie puisque celles-ci peuvent se comporter à la fois comme des ondes immatérielles et des corpuscules, communiquer à distance instantanément…
Selon la théorie de la Relativité Générale, temps et espace dans le cosmos sont des concepts relatifs (influencés par la gravité) et non absolus. Le temps est un concept abstrait, son évolution (flèche du temps) ne serait ni linéaire, ni irréversible. Alors, ce qui est observé, est-ce la réalité ou une illusion?
Pour Einstein, un être humain est une partie d’un tout que nous appelons « univers », une partie limitée dans le temps et l’espace. Il s’expérimente lui-même, ses pensées et ses émotions comme quelque chose qui est séparé du reste, une sorte d’illusion d’optique de la conscience.
Selon le physicien David Bohm, depuis Galilée, nous n’avons cessé d’observer la nature au travers de lentilles; déjà notre manière d’objectiver, comme dans un microscope à électrons, déforme ce que nous espérons voir. Nous voulons en voir le contour, l’immobiliser, ne fût-ce qu’un moment, alors que sa vraie nature est dans un autre ordre de réalité, une autre dimension, où il n’existe pas de choses.
Psychologie et philosophie
Au niveau psychologique, nous croyons être maitres de nos pensées, nos comportements et décisions, mais de plus en plus d’études démontrent que ce n’est pas le cas. Nous sommes en permanence influencés à la fois par l’environnement extérieur, c’est-à-dire par ce qu’on perçoit par nos sens, et aussi par notre environnement intérieur mental (ex. croyances, émotions, pensées, souvenirs, système de valeurs, éducation, « déjà-vu », hallucinations, paréidolies) et physiologique (ex microbiote intestinal, tumeurs). Les différents types d’illusions qui affectent notre relation au monde matériel (ambiguïtés, distorsions, paradoxes, fictions) se retrouvent dans nos relations humaines, car la communication entre individus est toujours teintée par le mental et l’égo (besoins, attentes, peurs, désirs, attachements…).
Pour Krishnamurti, c’est le désir ardent de l’expérience qui engendre l’illusion. L’illusion naît d’une observation superficielle de ce qui est, ainsi que du désir de devenir, d’être quelqu’un, de contrôler sa vie pour devenir conforme à l’image idéale que l’on désire.
Traditions du yoga
La conception de la réalité selon la physique quantique se rapproche du concept védantique de Mâyâ, l’illusion, correspondant à ce qui existe mais change constamment, et est donc considéré comme apparence « non réelle ». Mâyâ est aussi considérée comme la réalité perçue, inconsciente, et parfois comme le sommeil, l’ignorance.
Le terme Mâyâ signifie aussi « mesure », ce qui suggère le recul nécessaire pour développer le discernement et faire des choix.
Selon le Rig Veda, Mâyâ est un moyen neutre de discerner ce qui est perçu de ce qui ne l’est pas. Le monde est à la fois réel et non réel, car il se manifeste (par les Guna, Tanmatra…) mais n’est pas ce qu’il parait être, il est constamment en train de se renouveler. Mâyâ est ce qui nait, change, évolue, meurt avec le temps, dû aux principes invisibles. Contrairement à Atman-Brahma qui est éternel, absolu, la Conscience qui ne change pas et est non affectée, Mâyâ est l’ensemble des possibilités d’existence qui émanent préexistant à Brahma.
Mâyâ est le principe de relativité et dualité du monde physique. La seule façon pour le Divin, Unité absolue, de se manifester sous forme séparée, est sous la forme du voile faux et irréel de l’illusion. L’âme individuelle, en se différenciant de l’Âme suprême, est Mâyâ puisqu’en réalité tout est non-dualité, unicité absolue sans séparation (Rudra Hridaya Upanishad).
Dans les anciens textes védiques, le terme Mâyâ décrit un pouvoir magique extraordinaire, la sagesse!
Conclusion
Se libérer de l’illusion, Mâyâ, par la méditation ou d’autres pratiques, est généralement considéré comme l’essence du cheminement spirituel. Les illusions nous confinent à ce que nous connaissons, aux limites du mental (désirs, attachements…). Mais nous pouvons devenir réceptifs à tout ce qui apparait, ce qui change et ce qui ne change pas, dans notre environnement intérieur et extérieur (humain, mais aussi animal et végétal), sans peurs, désirs ou idées préconçues. Être Présent, l’esprit ouvert, avec curiosité, discernement et ouverture… Mais si Mâyâ est intimement lié à notre incarnation physique, alors est-il possible et souhaitable de s’en libérer, faut-il chercher à se dés-identifier de Mâyâ?
Pour Krishnamurti, ce qui nous importe, c’est de constater le fait du conditionnement de l’esprit et non pas de se laisser absorber par l’idée qu’il « devrait être libre », car alors peut surgir l’amour, la conscience de la vérité.